mardi 23 avril 2013

Empathie et horreurs … échappons à l’apathie

Quand le degré d’horreur devient trop grand, quand ce que l’on entend dépasse l’entendement, alors involontairement, mais invariablement également, les faits glissent de la sphère du réel pour gagner le domaine de l’abstraction, … et conséquemment deviennent même caution au doute.
L’empathie se trouble …
Si les faits durent encore, l’empathie suit même un schéma de décroissance. Qui s’inquiète encore, je veux dire s’inquiète vraiment, des conditions de vie des Afghans ?
70 000 morts en Syrie dans des douleurs dépassant le concevable. On l’entend,… mais le degré d’horreur est tel, qu’il est absolument impossible de s’en approprier l’étendu. D’ailleurs s’il y en avait 125 000 les journaux en parleraient-ils plus ? Les citoyens prendraient-ils le chemin de la rue ? Les diplomates gesticuleraient-ils d’avantages ? Peu probable…
5 morts à Boston, … Le monde pense à Boston, souffre, vibre de compassion ! 
Qui souffre d’un attentat à Mossoul ? Autant annoncer une perturbation météo !

D’autre part, il y a des présomptions de culpabilité dans l’inconscient de chacun. L’opinion publique ne prêtera pas le même degré potentiel d’horreur à tous les agresseurs. Elle concevra  aisément qu’un Taliban puisse torturer des civils, par contre accepter une torture systématique à Guantánamo reste toujours caution à une forme de doute.
Nous pouvons fort bien illustrer cela en analysant CERTAINS des faits d’occupation d’Israël. Ainsi, peu ou prou n’osent croire qu’une armée puisse lâcher des chiens sur des civils non armés, que des colons tirent sur des paysans, personne ne peut croire que Tsahal vise délibérément des civils gazaouis, personne n’accorde crédit aux témoignages de prisonniers torturés.
Pourquoi ?
Car, l’agresseur jouit d’une forme immunité, comme si certains faits ne pouvaient être l’apanage de citoyens dont l’histoire est jalonnée de tant de souffrances. Dès lors l’opinion prêtera invariablement un plus haut degré d’humanité à un Israélien qu’à un Irakien.
Ainsi, nos journaux s’abstiennent pour la plupart de parler de tortures, de meurtres orchestrés par des colons, etc… car le lectorat n’est pas prêt à l’accepter et que face à de tels articles l’opinion risquerait de crier à la manipulation, à des dérives fabulatrices, au complot antisémites… ou encore plus ennuyeux commencerait à ne plus accorder crédit au  journal rapportant ces "extravagances".
A l’inverse évoquer des manifestations contre les colonies, les attentes dans les check-points, le mur de séparation, reste tout à fait du domaine de l’acceptable.  

D’ailleurs, quand plus tôt je disais l’homme habité d’une forme de foi en l’humanité, un plus ou moins haut degré d’empathie en fait, on remarque qu’elle est directement corrélée à la proximité culturelle des victimes. Ainsi 5 Américains semblent ne pas valoir 200 Pakistanais, du moins en quantité d’encre couchée dans nos journaux et flots de propos des badauds.
Là également Israël tire son épingle du jeu. Ainsi, l’un de ses citoyen victime attirera une bien plus grande compassion qu’un Palestinien sur le carreau.

Enfin dans notre appropriation de l’horreur, le temps sur lequel s’étale la violence et la fréquence des bains de sang ont une grande influence.
Les États-Unis, la Norvège, … ont l’immense chance de n’être que rarement victime d’attentats meurtriers, l’Irak n’a pas cette chance ! L'Irak recevra donc un traitement comptable de son horreur (X morts à tel endroit) et les États-Unis un traitement émotionnel (témoignages, éditoriaux, analyses, enchâssement du drame dans la vie de proches,…)
Il faut pour attirer l’émotion, plutôt rester de l’ordre de l’exception.

Échelle absolue de l’horreur, degré d’infamie potentiellement accordable à l’agresseur, proximité culturelle avec les victimes, fréquences et durée de l’inconcevable, voilà comment nous traitons les flux émotionnels qui nous parviennent (faits déjà plus ou moins édulcorés par ceux qui nous les rapportent).
C’est au regard de cette mécanique interne, qu’il faudrait pouvoir aujourd’hui reconsidérer notre empathie avec le peuple syrien, irakien, afghan, palestinien…  C’est sans nul doute déplaisant, mais c’est notre devoir, c’est indispensable… 
 

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